L’école est victime d’un renoncement politique : hommes de com, homme d’état
Aucun des responsables qui, au début de leur mandat, promettent régulièrement de « métamorphoser » l’école pour la mettre au service d’une plus grande égalité des chances, -je dis bien AUCUN- n’a jamais été capable de se dire : « Je ne verrai certainement pas, ni en tant que responsable, ni peut être en tant qu’être vivant, les effets de mes décisions ; et c’est ce qui fait la beauté de la mission à laquelle j’aspire ! ». Mais, dans ce monde, où seule compte l’image fabriquée, où l’on ne voit pas plus loin que sa page face- book ou son compte twitter, comment espérer que se lève un responsable politique qui comprenne que les changements qui comptent en matière d’éducation et de culture s’inscrivent nécessairement sur plusieurs générations ? Les hommes et les femmes en responsabilité sont bien trop avides de faire voir et de se faire voir pour avoir un peu de discernement et de patience. Or croire que, dans le domaine de l’éducation notamment, il serait possible de décréter le changement de manière immédiate est pire qu’une erreur, c’est une faute. Tous semblent ignorer que la métamorphose d’une Ecole capable de forcer le destin des élèves fragiles ne se décrète pas ; elle se construit avec patience, volonté et courage sur plusieurs générations.
Notre éphémère ministre de l’éducation, Gabriel ATTAL, est l’exemple même de ces jeunes hommes politiques impatients qui croient –et veulent nous faire croire- au remède miracle. Dès son arrivée rue de Grenelle, il pointa du doigt la question douloureuse posée par l’importance croissante des inégalités de performances entre les élèves ; et force est de reconnaître que cette dénonciation était pertinente. Son constat était donc juste mais son analyse était par contre contestable : selon lui en effet, la cohabitation dans une même classe d’élèves en difficulté linguistique et en instabilité culturelle avec ceux qui le sont moins était préjudiciable aux uns et aux autres ; laissant sur le bord du chemin les élèves les plus fragiles, freinant la marche en avant des autres et rendant la tâche impossible aux enseignants. Il négligeait ainsi le caractère souvent bénéfique de l’hétérogénéité d’un groupe. Son constat était juste mais son remède était inefficace et dangereux : il décida qu’il fallait sans tarder créer des groupes de niveaux afin de retrouver des classes homogènes ; les bons avec les bons, les médiocres avec les médiocres. Il prenait ainsi le risque –faute de réflexion et d’expérience- de créer une école à deux vitesses ; les plus fragiles, cantonnés dans un entre soi délétère, verraient leurs ambitions cognitives ratiboisées et leurs perspectives sociales rabaissées. Quant aux meilleurs, rien n’indique, selon les résultats des recherches récentes, qu’ils auraient bénéficié d’une telle sélection. C’était donc, monsieur le ministre une bien mauvaise idée ! Fort heureusement vous fûtes appelé, cinq mois plus tard, à un destin bien plus glorieux et vos « successeuses » oublièrent vos propositions mais enterrèrent aussi le problème.
Une Ecole digne du qualificatif de « républicaine » devrait avoir pour tous ses élèves, d’où qu’ils viennent, quelle que soit leur langue maternelle, les mêmes ambitions cognitives. Il est hors de question qu’une école qui se veut et qui se dit « inclusive » accepte que certains de ses élèves voient leur destin intellectuel et social limité, tronqué, rétrécis sous prétexte qu’ils n’ont pas eu la chance d’acquérir une maîtrise du français de qualité ou qu’ils n’ont pas eu droit à un riche nourrissage culturel. Que nous ayons le devoir pédagogique de leur faire maîtriser la grammaire du français, que nous fassions tous les efforts nécessaires pour enrichir leur vocabulaire, que nous nous efforcions de leur ouvrir grand les portes de notre culture littéraire et scientifique, constituent évidemment un impératif –je dirais que c’est « la moindre des choses ». Mais que nous en rabattions, sous prétexte d’exogénéité linguistique et culturelle, sur l’ambition de former des esprits capables de résister à la manipulation et au mensonge, serait plus qu’une lâcheté, ce serait une faute.
En l’état actuel de notre système éducatif, la juste solution n’est ni le passage complaisant d’un niveau à l’autre , ni le rétablissement d’un examen de passage imposant aux plus fragiles un redoublement sans pertinence. La seule solution efficace sera de parier sur l’intelligence de tous nos élèves en leur montrant quechacun dans sa singularité compte pour l’enseignant. Être enseignant, c’est chaque matin, portant le poids de ses difficultés, de ses appréhensions et de ses espoirs déçus, pousser avec désir la porte de sa classe. Là l’attendent, tous les matins une trentaine d’enfants-des-autres qui souvent ne savent pas vraiment pourquoi ils sont là et qui parfois souhaiteraient être ailleurs. Tous les matins, il doit tisser ce lien d’éducation qui signifie tout simplement esquisser en lui-même et dans l’esprit de ses élèves l’épure d’un demain meilleur, plus riche de sensibilité qu’il ne l’est aujourd’hui, plus explicite qu’il ne le fut hier. Tous les matins, il doit faire ce pari magnifique de laisser une trace de lui-même sur chacune de ces jeunes intelligences. Trace incertaine, trace éphémère, trace que chaque élève interprètera à sa manière, mais trace singulière laissée par un adulte professionnellement engagé dans la transmission des valeurs et des savoirs.
Une Ecole qui renonce à forcer le destin des élèves fragiles, condamne les mémoires vides des jeunes de ce pays à errer dans un désert culturel où rodent d’infâmes recruteurs. Et elle aura perdu, alors, la dernière bataille. Quelle que soit leur origine, quelle que soit leur catégorie sociale un instituteur devrait montrer à tous ses élèves qu’il est bien décidé à les armer linguistiquement et culturellement afin qu’ils sachent résister à la tentation confortable de l’inculture, de l’insignifiance et de la soumission. La seule chance de lutter contre « l’ivresse barbare », c’est de faire de la raison de tous les élèves un rempart contre les assauts de la violence et de l’imbécilité. En bref l’éducation doit en finir avec les guérillas idéologiques qui pervertissent aussi bien la transmission des savoirs que la formation des esprits : il n’y a pas une Education de gauche et une Education de droite. Il y a ceux qui pensent que l’Ecole est un lieu où l’on a pour tous les élèves les mêmes ambitions d’autonomie et d’élévation et ceux qui préfèrent que tout reste pareil.