Bien plus que la terreur, l’abêtissement des peuples sert les dictatures.
Alain BENTOLILA 22/02/2023
Ni Poutine, ni Khamenei, ni Castro, ni Xi Jinping…. ne sont des imbéciles non plus que des fous. Loin de là ! ils ont consciencieusement décervelé leurs peuples respectifs, ou du moins une bonne partie de leur population, pour les rendre crédules face à leurs mensonges et vulnérables face à leurs manipulations. Au plus profond des provinces russes, combien de mots de cette langue russe, portée aux nues, possèdent des citoyens dont on a soigneusement rétréci le vocabulaire ; quelques centaines tout au plus, j’en fais le pari ! De quels instruments d’analyse disposent les paysans chinois pour faire face à des médias asservis ? Fort peu bien sûr et ils sont donc prêts à avaler les histoires les plus invraisemblables et les informations honteusement trafiquées ! De quelle capacités de questionnement sont dotés une part significative des Cubains dont on a tant vanté l’alphabétisation de masse menée manu militari ? Quasiment aucune, réduits au décodage arides de quelques écrits sociaux ! A quelle élévation spirituelle ont droit les Iraniens pressés dès l’enfance dans des réduits obscurs ou la récitation remplace la compréhension des textes. Pas la moindre ! Ils sont soumis à un dogme où les menaces effrayantes et les promesses honteuses remplacent la réflexion et l’exégèse. Et enfin -même si l’épisode trumpiste fut heureusement interrompu- que dire de la justesse d’expression et de la finesse de démonstration dont sont capables ceux qui ont assailli le Capitole ? Nulles bien sûr ! Parce qu’incapables du moindre discours structuré et argumenté susceptible de différer le passage à la violence. Comment ces peuples soigneusement abêtis pourraient-ils alors résister à un discours dictatorial qui, lui, convoque des dizaines de milliers de mots et utilisent une rhétorique parfaitement cadenassée.
De soumission en renoncement, de complaisance en lâcheté, l’intelligence collective, dans ces pays, s’est délitée et leurs citoyens sont devenus, en partie du moins, une proie facile face à une propagande sans vergogne. Depuis des dizaines d’années, on y a refusé de cultiver la pensée des enfants comme on cultive un champ pour nourrir les siens. On s’est gardé de leur transmettre les valeurs universelles qui leur auraient donné le sens de leur humanité. On les a privés du désir et des moyens d’analyser et de questionner qui leur auraient permis de ne pas s’en laissent conter. 0n les a détourné du goût de l’inattendu, de l’incongru et du singulier pour mieux les soumettre à la pensée dominante et jouir du confort imbécile de l’évidence et de l’immédiat. Et ils se sont enlisés dans la connivence, les apparences identitaires, la proximité et le prévisible. Dans tous ces pays, a sonné le glas annonçant la mort du verbe et de la pensée et célébrant l’asservissement des esprits. Et y fut enterrée l’idée même de résistance. Pour un bonne moitié de la population de ces pays « confisqués », le questionnement fertile a été remplacé par la docilité servile, les « mots d’esprit » ont fait place aux « mots d’ordre », le spirituel a cédé devant le rituel et la soumission intellectuelle et spirituelle est ainsi devenue une forme de vie acceptable. Les dictateurs ont, en effet le champ libre, dès lors qu’ils ont acquis l’assurance qu’une partie suffisamment importante de leur population n’a plus ni les moyens ni le goût de la résistance intellectuelle. La parole d’état devient alors « parole d’évangile » ; elle tombe sur les épaules courbées de citoyens devenus des créatures et non plus des créateurs.
Et pendant ce temps-là…, les démocraties occidentales, détestées et parfois moquées par ces mêmes dictateurs, se complaisent dans une bien-pensance et un conformisme qui rend suspecte toute pensée singulière. A l’école, la complaisance mièvre a remplacé l’ambition que l’on devrait avoir pour chaque élève et l’échec programmé des enfants fragiles a fait oublier le devoir de forcer le destin des enfants « mal-nés ». Dans les familles la peur du conflit a porté les parents à écarter toute imposition ferme de règles et de repères. Il est devenu plus confortable de renoncer à toute exigence, d’éviter d’identifier une insuffisance ou de se garder de dénoncer une contravention à une convention linguistique ou sociale. Face à la volonté brutale des dictateurs qui tuent dans l’œuf toute pensée sortant du cadre impérial, nos démocraties répondent, bien mal, par un cadre idéologique moins brutal mais tout aussi étouffant. Il interdit ou plutôt dissuade, de formuler toute pensée originale, singulière…, iconoclaste. Ce bâillonnement certes moins violent, ce formatage plus insidieux affaiblissent cependant notre intelligence collective et atténue nos capacités de résistance. Face à l’arbitraire, à la tyrannie et au mensonge d’état c’est la force des LUMIERES qu’il nous faut convoquer et non la bien-pensance poisseuse! Des lumières qui ne seraient pas un cadre de valeurs imposées qui s’opposeraient front contre front à celles des dictateurs. Non ! Celles qui éclairent nos doutes et nos incertitudes dans un entremêlement de débats contradictoires et un réflexivité critique. « Sapere aude ! » : » Aie le courage de ton propre entendement ! ». Emmanuel KANT a fait de cette injonction empruntée à HORACE la devise des Lumières : penser est une pratique de liberté, un effort pour s’orienter dans un monde obscur où l’on essaie d’avancer seul même en tâtonnant. La leçon des Lumières, c’est surtout savoir dépasser l’évidence pour lui imposer sa propre réflexion, sa propre interprétation. Vous comprendrez, chers lecteurs pourquoi les dictateurs de tous poils, les haïssent ; combien aussi ils les craignent et combien ils rêvent de les éteindre définitivement sous leurs bombes.