Complaisance et compassion détruisent le désir d’élévation
Alain Bentolila 03/10/2023
Il y a quelques années, Jean jacques Goldman –à l’ouverture de la campagne des restos du cœur- avait osé exhorter les jeunes en difficulté, à « se prendre en main ». Bien mal lui en prit ! Il eut mieux fait de s’excuser d’avoir gagné de l’argent et d’avoir acquis une trop voyante notoriété. Et pour aggraver son cas, il avait eu le culot de rappeler qu’il avait durement trimé pour en arriver là où il était et qu’il y avait en France une lueur d’espoir pour qui veut bien « se bouger ». Tous les milieux bien-pensants s’enflammèrent, hurlant à l’irrespect et à la stigmatisation : « Contentez-vous de pratiquer l’assistanat et…, laissez faire le déterminisme social !». J’imagine le désarroi de Goldman et de tous ces enfoirés qui après des années d’engagement pour les restos du cœur pensaient légitime d’en appeler à la volonté, à l’énergie et à l’ambition de la jeunesse française en espérant que leurs exemples susciteraient des vocations, inspireraient des engagements… Ils eurent tout faux…!
Sous le prétexte démagogique d’éviter la stigmatisation, il était et il est encore aujourd’hui de bon ton de rappeler à certains jeunes de ce pays de ce contenter d’ambitions limitées voire de ne pas avoir d’ambitions du tout. Pour bercer leur résignation, on a maquillé l’exclusion sociale sous un fard culturel et on en est même arrivé à cacher certains handicaps douloureux sous un masque identitaire. Aujourd’hui, pour être politiquement correct, il faudrait se complaire à décrire, faussement admiratif et un brin amusé, les astucieuses stratégies de jeunes français qui s’échinent douloureusement à contourner les obstacles quotidiens que leur imposent leurs difficultés de lecture et d’écriture. Il faudrait, au nom du droit à la différence (et à l’indifférence), accepter avec une sorte de complicité malsaine que certains jeunes soient privés de mettre en justes mots leurs pensée. Or, si les citoyens en situation d’illettrisme ont droit à notre respect et à notre solidarité, reconnaissons tout de même que l’illettrisme rend difficile l’exercice de leur citoyenneté et que ceci n’est en rien acceptable. La description sociologique de ce phénomène qui touche plus d’un français sur dix, ne lui confère aucune lettre de noblesse socioculturelle. Avoir du mal à lire et encore plus à écrire n’a rien d’identitaire ; cela aggrave la marginalisation sociale et rend plus improbables les chances d’en sortir.
Refusons donc de nous laisse troubler par des linguistes autoproclamés qui nous appellent à considérer les règles d’orthographe comme des instruments pervers de discrimination, à voir dans les conventions grammaticales d’insupportables contraintes, à réduire les erreurs linguistiques à des usages « singuliers » de la langue, et à faire des règles d’accord des insultes sexistes envers les femmes. Ne nous laissons pas duper par de pseudo sociologues qui tentent de cacher l’insécurité linguistique d’une partie de notre jeunesse sous le voile fragile de la création de mots nouveaux et d’expressions pittoresques censés dynamiser la langue française. Tous ces apôtres refusent d’analyser les préjudices subis par ceux à qui fait défaut la maîtrise de la langue et tous se laissent complaisamment séduire par l’écume d’une parole dont le pittoresque cache bien mal l’inquiétante approximation. Ils clament à qui veut l’entendre que tous les langages sont égaux alors que certains livrent les clés du monde et que d’autres ferment les portes du ghetto.
La « culturisation » de l’inculture est ainsi devenue une posture intellectuelle et idéologique que prennent avec infiniment de complaisance un bon nombre de ceux dont les enfants risquent « moins » l’échec scolaire et social que les autres. Dans l’éducation, la non prise en compte de l’erreur comme fondement de l’apprentissage conduit aujourd’hui à des comportements de complaisance qui pénalisent toujours les enfants les plus en difficulté. C’est très jeune qu’il faut aider les enfants à reconnaître qu’ils se sont trompés et ainsi les inciter à s’améliorer. Ils doivent constater que les autres aussi se trompent, font des erreurs et que c’est en les acceptant qu’ils parviennent à se dépasser. Un instituteur doit avoir pour tous les élèves de grandes ambitions ; pour les plus brillants comme pour ceux qui ont plus de mal. En aucun cas il ne doit se laisser aller à un apitoiement qui est synonyme de renoncement et d’abandon.
Alors, disons-le clairement ! Inciter des jeunes en difficulté sociales ou psychologiques à aller plus haut même si c’est difficile et parce que c’est difficile, c’est avoir du respect et de l’ambition pour eux. Inciter à reprendre l’ascension ceux qui, en tentant de grimper, ont fait des chutes douloureuses, ce n’est ni du cynisme ni de la condescendance. Leur raconter les difficultés de nos propres parcours, la douleur de nos échecs, notre fierté de les avoir surmontés, ce n’est pas nécessairement jouer au vieux con.