Alain BENTOLILA – Collège des Bernardins – 16/12/24
- Le danger du sectarisme religieux
Toute religion quelle qu’elle soit porte en elle les dangers du sectarisme, de l’enfermement et du racisme ; notamment pour ceux qui, ne maîtrisant pas ou peu « la langue de DIEU », sont dans l’incapacité de pouvoir questionner et interpréter les textes sacrés. Croyants et clergé, au sein de chaque confession religieuse, doivent donc veiller à ce que les mots du sacré ne se transforment pas en mot de passe, que les rituels ne soient pas changés en signes de reconnaissance et que la prière elle-même ne devienne pas une forme d’anathème.
On n’hérite pas d’une religion, on la cultive, comme on cultive un champ pour nourrir les siens. Une religion nous invite à pénétrer avec curiosité dans une immense bibliothèque qui conserve la trace de ce que, de génération en génération, les hommes ont dit et écrit pour d’autres hommes à propos de Dieu. On n’y entre pas les yeux bandés ; on doit aller, soi-même, chercher sur des rayons immenses les textes laissés par d’autres, en d’autres temps. Ces traces ne sont pas conservées pour que l’on y mette servilement nos pas. Elles rappellent les interprétations d’une communauté croyante au sein de laquelle chacun, siècle après siècle, s’est engagé dans une réflexion individuelle tout en s’ouvrant à la discussion collective. Une religion digne de ce nom doit donc offrir à tous ceux qui poussent sa porte l’immense quantité de discours patiemment formulés, de textes patiemment transcrits, sans cesse interprétés, sans cesse discutés. C’est cette richesse intellectuelle produite d’âge en âge, intimement mêlée à l’histoire des peuples, qui constitue la garantie d’une religion sincère, tolérante et… légitime. Une religion dont chaque croyant a le droit et le devoir sacrés d’aller questionner lui-même les discours et les textes. Une religion qui enjoint à chaque croyant de faire l’effort du sens et à confronter ainsi ses propres interprétations à celles des autres avec autant de respect que de discernement. Une religion se mérite par l’effort intellectuel et linguistique qu’on lui consent ; elle ne se porte pas comme un signe de reconnaissance acheté à vil prix et exhibé avec d’autant plus d’agressivité.
- La conquête de l’écriture : La quête universelle de la continuité spirituelle
L’Homme n’a pas inventé l’écriture pour compter les moutons, elle a constitué une étape décisive dans sa quête désespérée de sa continuité spirituelle. Lire et écrire constituèrent la magnifique réponse à la question que les hommes ont mis des centaines de milliers d’années à oser formuler : « QUE SUIS-JE ? » Cette question, qu’ils ont si longtemps tenté d’écarter par la griserie de « l’immédiate réaction », n’a pu émerger du plus profond de leur intelligence collective que lorsqu’ils osèrent mettre en mots, en une même affirmation, leur conscience d’Être et la certitude de devoir, un jour, n’être plus. La création de l’écriture a certes été tardive (il y a quelques milliers d’années seulement) mais elle a été essentielle. Si cet appel à l’écriture a résonné si tard dans l’histoire de l’humanité, alors que la construction du langage était depuis longtemps engagée, c’est sans doute parce qu’il a fallu du temps pour que le besoin de continuité spirituelle se manifestât au sein d’une intelligence collective osant enfin regarder la mort en face. Par le génie de l’écriture, un humain confie ainsi à un autre, qu’il ne connaît pas, une trace de son esprit, espérant que cette trace sera reçue y compris quand lui-même ne sera plus.
C’est dans des mots envoyés au plus loin de lui-même que l’Homme trouva la meilleure défense, le meilleur abri contre la « terreur de la dilution » : « Je suis celui qui lit et qui écrit et qui, en lisant et en écrivant, reçoit la pensée d’un autre et laisse dans son intelligence une trace qui, pour être maladroite et sans réelle beauté, est et sera une preuve tangible de mon existence singulière ». S’il est nécessaire que nous nous battions en famille et à l’école pour que nos enfants sachent lire avec émerveillement et écrire avec délice, c’est afin qu’ils sachent qui ils sont, ce qu’ils sont et, plus essentiellement, afin qu’ils sachent qu’ils sont. Lecture et écriture portent ainsi ensemble ce que j’appellerai la « résistance existentielle ». Lire et écrire sont en ce sens absolument indissociables. Comme me le dit un jour Georges Steiner, « lire, c’est répondre fraternellement à l’appel désespéré de l’écriture » ; décrivant ainsi avec bonheur l’alliance sacrée de l’écriture et de la lecture.
- L’Ecole laïque fera le pari de l’universel et de la spiritualité, unis pour faire barrage à la radicalisation religieuse
L’école laïque ne doit surtout pas exclure la spiritualité de sa mission laïque car loin de la pervertir, elle la féconde ! Je parle bien de spiritualité et non de religion ! Aujourd’hui, plus que jamais, maîtres et élèves doivent regarder vers le haut, même et surtout, s’il n’y a personne. L’Ecole laïque ne doit surtout pas se laisser voler « le concept de spiritualité » par des gourous sectaires qui interdisent à leurs disciples d’exercer leur droit à leur propre élévation. Au contraire elle doit oser inscrire la question de la spiritualité au centre de ses devoirs éducatifs afin d’en souligner la dimension universelle. L’école doit opposer au sectarisme religieux les valeurs universelles qui nous unissent ; veillant ainsi à une collective élévation des esprits. En d’autres termes l’école doit privilégier ce qui rassemble ses élèves et non pas ce qui les divisent. Son combat est celui des valeurs universelles : liberté de penser mais humilité devant le savoir établi, liberté de goût mais respect du chef d’œuvre consacré, refus de toute emprise spirituelle mais tolérance des convictions et des coutumes de chacun.
Le devoir de l’école laïque est donc de conduire ses élèves vers l’Universel en les incitant à se nourrir des textes fondateurs de toutes origines et à les questionner avec fermeté ; et ce, que ces textes soient profanes ou bien sacrés. Ces récits universels portent, dans leur diversité, les questions essentielles que les hommes se sont toujours posés sur leur humaine condition ; ils rappelleront aux élèves d’où qu’ils viennent, leur commune humanité et, de ce fait, les rassembleront. En bref, l’école opposera à la radicalisation religieuse une spiritualité laïque En d’autres termes, elle défendra le fait que « l’élan spirituel » est commun à tous les hommes quels que soient les récits, les contes et les fables qui le portent. Ces textes fondateurs furent en effet tissés pour apaiser leurs peurs archaïques et pour qu’ils puissent réfléchir ensemble aux questions essentielles qui fondent leur humanité. L’école apprendra donc à tous les élèves que c’est la liberté d’interpréter et de commenter personnellement chaque texte, fut-il sacré, qui sépare l’élan spirituel de l’enfermement confessionnel. C’est donc en conjuguant le spirituel et l’universel que l’Ecole laïque détournera les élèves en difficulté et les citoyens instables de ces lieux confinés où se confondent verbe et incantation, lecture et récitation, foi et endoctrinement. Elle veillera à les inviter à un questionnement ferme et à un débat respectueux autour des grands sujets qui les réuniront comme ils ont de tous temps réuni les Hommes. Ces « ateliers de l’universel » raffermiront leurs propres intelligences et leur feront découvrir et respecter la pensée des autres.